Anticipation à l’ère de la volatilité : repenser l’avenir des politiques publiques et de l’administration à l’UNESCO

Le siège de l’UNESCO à Paris a accueilli le 2 décembre dernier l’édition 2025 de la Journée mondiale des futurs, placée sous le thème « Anticipation à l’ère de la volatilité ». Cet événement international a réuni des décideurs publics, des chercheurs, des experts et des praticiens du monde entier afin d’explorer comment la littératie des futurs, la prospective et l’anticipation peuvent renforcer la capacité des sociétés et des gouvernements à faire face aux mutations profondes de notre époque.
Dans une réalité marquée par l’accélération technologique, les transformations des pyramides démographiques, le changement climatique ainsi que les incertitudes géopolitiques, la Journée mondiale des futurs s’est projetée comme un espace commun de réflexion stratégique planétaire auquel le CAFRAD a pris part comme une institution de réflexion panafricaine, un laboratoire des idées innovantes, sur la manière d’éclairer l’action publique et d’orienter les politiques vers des trajectoires plus durables, inclusives et résilientes.
Anticiper pour agir dans un monde incertain
Les débats de la séance plénière ont mis en lumière l’importance croissante de l’anticipation, de l’imagination et de la pensée prospective face à la volatilité des environnements contemporains. Les outils de la prospective sont désormais indispensables comme fondements pour aider les institutions publiques à dépasser une logique de réaction à court terme et à se projeter en amont dans des futurs multiples, plausibles et souhaitables.
L’édition 2025 s’est distinguée par son accent sur l’application concrète de la prospective dans l’élaboration des politiques publiques, en s’appuyant sur une expertise interdisciplinaire, notamment celle des Chaires UNESCO spécialisées dans les études du futur et l’anticipation.
Intelligence artificielle et avenir de l’humanité : une alerte philosophique
La conférence inaugurale a été prononcée par M. Éric SADIN, philosophe et spécialiste des technologies numériques et de l’intelligence artificielle. Son intervention, intitulée « L’avenir de l’humanité à l’ère de l’omniscience de l’intelligence artificielle », a offert un cadre critique et stimulant à l’ensemble des travaux.
- SADIN a dénoncé l’accélération technologique effrénée portée par l’essor de l’intelligence artificielle générative et a alerté sur le risque d’une délégation excessive des capacités humaines face au foisonnement des systèmes automatisés. Il a plaidé pour l’adoption d’une charte mondiale contraignante visant à garantir une intelligence artificielle véritablement éthique, responsable et au service de l’humain, soulignant que ces principes ne peuvent rester de simples déclarations d’intention.
Gouvernance anticipative et littératie des futurs
Les interventions institutionnelles ont convergé vers un même constat : la nécessité urgente de renforcer les capacités collectives de gouvernance anticipative. Les responsables de l’UNESCO ont insisté sur l’importance d’une préparation institutionnelle de long terme, intégrant la recherche, l’analyse des tendances et l’identification précoce des risques dans la planification publique.
La littératie des futurs a été présentée comme une compétence clé du XXIᵉ siècle, accessible à tous et essentielle pour améliorer la qualité des décisions publiques. Les images que les sociétés se font de l’avenir influencent profondément les choix présents ; développer des visions futures porteuses d’espoir, fondées sur la créativité et l’innovation, devient ainsi un levier stratégique pour l’action collective.
Anticiper l’avenir des administrations publiques à l’ère de l’IA
En marge de la séance plénière, un atelier dédié à l’anticipation de l’avenir des administrations publiques a permis d’explorer les transformations induites par l’intelligence artificielle et la transition numérique. Les échanges ont porté sur les compétences, les comportements et les capacités institutionnelles nécessaires pour façonner une gouvernance publique plus efficace, éthique et centrée sur l’humain.
Plusieurs scénarios prospectifs ont été discutés, partant d’une administration numérique centrée sur les valeurs publiques, favorisant la participation citoyenne et la confiance, à des modèles plus technocratiques reposant sur l’algorithmisation massive des décisions, soulevant des enjeux majeurs en matière de libertés, de transparence, d’éthique et de responsabilité. Les perspectives liées à l’émergence de l’IA agentique et à la numérisation intensive des services publics ont également mis en évidence les opportunités d’amélioration des performances, mais aussi les risques de perte de sens, de fracture numérique et d’exclusion.
Compétences, valeurs et défis de la transformation publique
Les travaux ont souligné que la transformation numérique de l’administration ne peut réussir sans un investissement massif dans le développement des compétences humaines. Au-delà des compétences techniques, les administrations devront renforcer les soft skills telles que l’esprit critique, l’empathie, l’intelligence émotionnelle, l’éthique de l’IA, la capacité d’anticipation et le leadership numérique.
Les défis restent nombreux, en particulier dans les pays en développement : fractures numériques, insuffisance des infrastructures, faibles capacités institutionnelles, absence de souveraineté technologique, résistances organisationnelles et cadre juridique inadapté. Face à ces obstacles, la préservation des valeurs publiques fondamentales, à savoir la transparence, l’intégrité, la responsabilité, la participation et l’équité, apparaît comme un impératif non négociable.
Vers un partenariat renforcé pour l’avenir de l’IA dans le secteur public
À l’issue de cette rencontre internationale, des échanges bilatéraux ont permis de renforcer la coopération entre le CAFRAD et l’UNESCO, notamment dans le cadre de l’Alliance mondiale SPAARK-IA. Cette dynamique est notamment concrétisée par la mise en place de groupes de travail dédiés au développement des compétences en intelligence artificielle et à la transformation numérique du secteur public.
Une des concrétisations de la volonté de coopération CAFRAD-UNESCO est la nomination du Directeur général du CAFRAD, Dr. Coffi Dieudonné, comme un co-responsable du groupe de travail « Avenir du travail » au sein de l’alliance SPARK-AI. Une première réunion de lancement a eu lieu le 9 décembre dernier, et dont le but a été d’élaborer le contenu et les recommandations à partir de perspectives comparatives. Ce groupe de travail aspire à explorer les pistes que créera l’IA en matière de transformation des rôles, des compétences, et des structures organisationnelles dans l’administration publique.
En définitive, la Journée mondiale des futurs 2025 a rappelé avec force que l’avenir n’est pas à prédire, mais à construire. Dans un monde volatile, l’anticipation, la prospective et la littératie des futurs constituent des leviers essentiels pour bâtir des administrations publiques résilientes, humaines et capables de répondre aux attentes des citoyens d’aujourd’hui et de demain.

